Chapitre 6 : Professeur sentimental

ShiroiRyu
Les derniers articles par ShiroiRyu (tout voir)

Chapitre 6 : Professeur sentimental

« Maman, je m’en vais pour le reste de la journée. » murmura le jeune garçon, un petit sac de cuir sur le dos tandis que sa mère se tournait vers lui.

« Earnos … Ton père et moi, nous avons déjà parlé de tout ceci. Tu sais très bien que nous n’aimons guère l’idée que tu ailles dans ce quartier et encore moins dormir chez l’un d’entre eux. » souffla la femme aux cheveux rouges, l’air inquiet peint sur son visage.

« Maman, ce n’est pas dangereux. Elle est très gentille et puis, je te promets que je serai déjà au travail dès demain, je te le promets réellement. »

« … … … De toute façon, quoi que je dise, tu ne m’écouteras pas. »

Il hocha la tête en réponse à sa mère, celle-ci se penchant en avant tandis qu’il venait l’embrasser sur les deux joues. Ses deux sœurs aînées s’approchèrent de lui tandis qu’Earnos vint les embrasser et enfin à ses deux sœurs moins âgées que lui. Il se tourna vers son père qui était assis sur un canapé, lisant le journal.

« Papa … Je serai présent demain dès le début du travail. Je te le promets. »

« Fais donc … Fais donc … De toute façon, Forsak ne devrait pas trop t’en vouloir si tu as une dizaine de minutes de retard au vu de tout le travail que tu abats chaque jour. »

« D’accord. Alors, je m’en vais maintenant. Elle m’attend sûrement. » répondit le jeune garçon en terminant la conversation, quittant finalement la demeure familiale.

Quelques minutes plus tard, il marchait à travers les ruelles du village. Ah … Les bâtiments étaient tous différents quand on les regardait bien. Cela dépendait principalement des habitants. Certains avaient des murs entourés de lierre, d’autres semblaient être faits en pierre, d’autres en bois … Et pourtant, il n’y avait aucune différence de classe sociale … Les maisons en bois côtoyaient les maisons en pierre ou celles recouvertes de lierres.


Enfin … Si … Il y avait bien une classe sociale à part … Une partie du village qui était rejetée … Et il venait d’arriver dans celle-ci. Des hommes et des femmes encapuchonnées dans des ruelles peu éclairées … Aucun cri pour vendre des fruits, aucun rire d’enfant, non … C’était un silence complet, mortuaire et ténébreux … Pourtant, il n’était pas inquiet ou apeuré, pas le moins du monde.

« Pourquoi est-ce tu es revenu ? Ta présence n’est pas requise ici … Tu es trop jeune pour avoir besoin de nous … » murmura soudainement une voix tremblante à sa droite, un corps recouvert d’une cape brune s’adressant à lui en tremblant.

« Laisse-le tranquille. » répondit une seconde personne mais à sa gauche cette fois-ci, emmitouflée de bleu. « C’est le même enfant que d’habitude. Son existence ne nous concerne pas, comme sa présence en ces lieux. Vas t-en, jeune garçon. Tu connais le chemin. »

« Merci bien. Elle ne m’attend peut-être pas. Cela sera une surprise de ma part. » chuchota Earnos alors qu’il accélérait le pas quand même. Il passa à travers les ruelles assombries et isolées, ne se préoccupant plus des autres personnes.

Et voilà qu’il arrivait devant une modeste maison. Aucune vitre sur les fenêtres, elle ne faisait qu’un unique étage et était entièrement constituée de pierre. Elle ne semblait pas très grande mais largement assez pour une personne vivant seule. Il s’approcha de la porte, l’unique chose qui semblait être faite de bois ici. Il toqua plusieurs fois, une voix féminine se faisant entendre, assez lugubre et sombre :

« Qui est-ce donc ? Veuillez décliner votre identité. »

« C’est moi, madame Douély. Je suis venu pour la soirée comme d’habitude. » murmura le jeune garçon sur un ton neutre alors que derrière la porte, les pas semblaient se déplacer avec vitesse pour se diriger vers l’entrée.

« Ah ! Earnos ! Je ne savais pas que tu venais aujourd’hui ! » répondit la voix féminine alors que le ton avait changé complètement, bien plus chaleureux qu’auparavant.

La porte s’ouvrit, un bras complètement bandé le tirant subitement vers l’intérieur avant même que la porte ne se referme aussitôt. Il se retrouva enlacé tendrement par une femme qui devait mesurer environ un mètre quatre-vingt, portant une épaisse cape brune sur l’intégralité de son corps. Il était impossible ou presque de voir ses habits puisqu’elle ne portait qu’une robe de même couleur que sa cape et seules des bandelettes grises étaient visibles lorsque la robe et la cape ne cachaient pas son corps.

« Je croyais l’avoir dit … pourtant. Pardon, madame Douély. » reprit-il alors qu’elle le séparait de ses bras, bougeant un doigt d’un air négatif.

« Non, non … Je t’ai déjà signalé quelque chose à ce sujet. Pas de madame, ni de mademoiselle. Tu dois m’appeler … » commença la femme avant qu’il ne reprenne :

« Professeur Douély ? C’est comme ça que je dois vous appeler ? »

« Non, non et non ! Enfin … Il est vrai que je suis ton professeur … mais non … Tu peux m’appeler tout simplement Douély. » termina t-elle finalement.

Douély ? C’était … difficile de parler ainsi à une grande personne. Très grande même. Il faisait à peine la moitié de sa taille … Non, quand même pas, il ne fallait pas rêver … Il faisait bien un mètre vingt quand même ! Donc il n’était pas si petit … que ça.

« As-tu mangé ? Tu as préparé tes affaires pour la nuit ? » demanda la femme alors qu’il restait parfaitement stoïque, murmurant :

« Je repars dès demain … Très tôt puisque je dois aller travailler. »

« Je m’en doute bien. Bon … Par contre, tu n’as pas l’air de t’être lavé depuis des jours. Tu connais la maison, pendant ce temps, je vais préparer de quoi manger pour nous deux. »

Il hocha la tête de haut en bas, prenant son sac avec lui alors qu’ils partaient vers deux directions différentes. Lui-même allait prendre un bain dans ce qui ressemblait à un gigantesque tonneau rempli d’eau chaude. Il semblait grandement apprécier celle-ci, faisant quelques bulles dans l’eau alors que la femme capuchonnée pénétrait dans la pièce, enjouée :

« Allez ! Hop, hop ! Je viens te laver derrière les oreilles, Earnos. Retourne-toi ! »

« Vous … n’avez … pas à le faire … Douély. Je sais très bien me laver tout seul. » marmonna le jeune garçon bien qu’il se retournait aussitôt, sentant deux mains très douces qui passaient dans ses cheveux. C’était le seul instant où elle retirait les bandages et il sentait bien la différence avec les mains de sa mère, des sœurs ou alors même d’Herakié et de la princesse Terria. Il fallait dire qu’à force de travailler avec les fleurs et toutes ces choses, les mains de sa mère et de ses sœurs s’égratignaient avec l’usure du temps. Il eut subitement la tête enfoncée dans l’eau, n’ayant pas eut le temps de reprendre sa respiration avant qu’elle ne soit ressortie. Il toussa légèrement, bafouillant :

« Mais mais mais … Vous auriez pu … »

« Te noyer ? Tu ne penses pas que c’était voulu ? Pas de vouvoiement. Et tu sais ce que ce mot veut dire, je n’ai pas arrêté de te l’expliquer. » répliqua la femme.

« Mais mais mais … Je ne peux pas m’adresser à vous comme ça car … »

Et voilà qu’il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà il avait la tête enfoncée à nouveau dans l’eau. Lorsqu’il put la ressortir, il avait quelques larmes aux yeux, tournant son visage vers la femme. Il ne voyait rien d’elle mais il savait qu’elle était en train de sourire. Il la connaissait bien à force.

« C’était très méchant de votre pa … de ta part ! » s’écria t-il en s’étant arrêté brièvement pendant quelques instants, la femme semblant le menacer d’une main.

Snif … Elle était la seule à lui faire ça. Ses sœurs n’oseraient jamais faire une telle chose car il était l’unique garçon parmi les enfants. Donc, elles préféraient le « bichonner » comme elles aimaient le dire. Ainsi, il avait toujours vécu une vie sans aucun problème. Comme il n’allait pas à l’école, il n’avait aucun camarade. A part Herakié mais elle, c’était vraiment très spécial. Donc, bref, c’était une vie sans aucun souci et il n’était pas du genre à se plaindre car il n’avait aucune raison de le faire.

Une heure plus tard, il se retrouvait assis sur les jambes de Douély. Ils étaient assis derrière une table. Sur celle-ci, plusieurs livres étaient éparpillés un peu partout alors qu’il tirait un peu la langue. C’était sa façon à lui de se concentrer tandis qu’il tenait un morceau de bois avec une pointe au bout. Un crayon à papier.

« Nous continuerons avec un peu d’histoire et de géographie. Ensuite, tu iras te coucher, Earnos. Demain, je te réveillerai avant que tu partes. »

« D’accord, Douély ! Je suis bête car je ne sais jamais pourquoi je n’arrive pas à me réveiller quand je dors ici. »

Il avait une voix bien plus joyeuse qu’à son habitude, des petits éclats de rire se faisant entendre de la part des deux personnes. Il semblait heureux, vraiment heureux … Cela n’avait rien à voir avec ces journées au travail.

Ah … … … Elle passait sa main dans ses cheveux blonds, les caressant avec douceur. Ce n’était pas la vie d’un jeune garçon normal. Il était bien plus que cela. Il était destiné à quelque chose de bien plus grand que cela, elle s’en doutait car … Elle …

« J’ai terminé d’écrire, Douély ! Tu veux bien lire ? Me dire si j’ai faux ou non ? » coupa net le jeune garçon en tendant plusieurs feuilles.

« Bien entendu. Voyons … Voyons … Voyons … » murmura la femme alors qu’il restait sur ses jambes sans rien dire, attendant avec anxiété la réponse de Douély.

Constat ? C’était très bien selon les propres dires de la Munja. Celle-ci le félicita car il semblait avoir parfaitement retranscrit et appris tout ce dont elle lui avait parlé aujourd’hui. Même si il ne pouvait pas aller à l’école, la femme était celle qui s’occupait de lui dans ce domaine. C’était grâce à elle qu’il serait différent de ses sœurs et des autres Aspicots de son village et de ceux avoisinants.

Et là … Il était couché dans un lit plutôt grand. Les yeux rivés vers le plafond, il observait celui-ci alors qu’il entendait des bruits de pas dans le noir. Il savait parfaitement à qui ils appartenaient puisqu’il n’y avait qu’une unique personne qui pouvait marcher ainsi. Cette personne vint se coucher dans le lit à son tour, le jeune garçon bougeant légèrement alors qu’il se retrouvait à nouveau dans les bras de Douély.

« Pardon de te déranger à chaque fois, Douély. Tu as sûrement mieux à faire que de perdre ton temps avec un garçon comme moi. » chuchota t-il après quelques minutes.

« Je suis libre de perdre mon temps avec qui que je le désire. Surtout que j’ai une infinité de temps donc ce n’est pas un problème que d’utiliser celui à ma disposition avec toi. »

« … … … C’est juste que je ne suis qu’un enfant … Un Aspicot qui ne peut même pas aller à l’école car ma famille a besoin que je travaille. »

« Tu n’es qu’un enfant ? Et bien … Tu es un enfant très différent de celui que j’ai connu il y a quatre ans. Bien différent oui … Et c’est un compliment. » murmura la voix de la femme avant qu’elle ne le colle encore plus contre soi.

« … … … Je … … … J’ai un peu peur quand même, Douély. »

Peur ? Lui ? Sa voix avait été prise d’un léger tremblement tandis qu’il sentait la femme passer ses doigts dans ses cheveux blonds. Elle le laissait parler, semblant l’écouter avec une très grande attention.

« Ils disent tous que je suis très bien, que je serai un parfait Dardargnan. Ils ne se plaignent jamais de moi car je fais bien mon travail … Mais quand je me tromperai une fois ? Et quand j’échouerai ? Et quand je ne saurai pas faire ? Et quand je … »

« Calme … Calme … Earnos. » souffla Douély alors qu’elle entendait quelques petits sanglots. « Tu n’as pas besoin de réfléchir à tout cela. Tu es un enfant … Simplement un enfant … Et tu n’es pas parfait … Personne ne l’est. Si tu te trompes dans ton travail, alors tu t’es trompé. C’est tout … Ils ne vont pas en faire un drame. »

« Mais ils comptent sur moi ! Ils sont … Ils sont … »

Ce qu’ils étaient, elle semblait n’en avoir que faire. C’était pour ça … Parce qu’elle était là … Parce qu’elle n’était pas concernée par cette histoire de travail … Parce qu’elle n’était pas un membre de sa famille ou une amie … C’est parce qu’elle était éloignée de tout, si distante par rapport au monde qui l’entourait comme le sont tous les Munjas qu’il pouvait … lui exprimer ses craintes. Ne pas être à la hauteur de leurs espérances. Il n’avait que quatre ans lorsqu’il avait commencé à creuser son premier tunnel et même si il avait été accompagné ce jour-là … Il avait commis une énorme bêtise … Celle de s’être perdu. Mais tout n’avait pas été si noir à cet instant puisque c’était le jour où il l’avait rencontrée …. Elle … Douély.

Laisser un commentaire